Le logement abordable devient de plus en plus rare en Europe. Alors que les politiques traditionnelles échouent, les fonds à impact social émergent comme une solution axée sur le marché avec un objectif social.
Une crise marquée par des coûts élevés et une offre limitée
De Berlin à Barcelone, des millions de personnes sont exclues de l’accession à la propriété ou du marché locatif. La flambée des prix de l’immobilier, la hausse des taux d’intérêt et l’insuffisance de l’offre ont fait de l’accès au logement abordable l’un des grands défis européens.
À Dublin, les prix des logements ont triplé par rapport aux revenus moyens au cours des dix dernières années. En Allemagne, près de 15 % des ménages consacrent plus de 40 % de leurs revenus au loyer—un bond spectaculaire depuis les années 1990.
Quelles sont les causes de cette tension sur l’accessibilité ?
Un retard de construction dans toute l’UE
Malgré la hausse de la demande, la construction de logements reste en retard. L’Allemagne accuse un déficit de plus de 100 000 logements par an. L’Irlande, elle, en manque plus de 200 000. Partout en Europe, les retards d’autorisation, la rareté du foncier et les oppositions locales ralentissent le développement.
Croissance urbaine, inflation et pressions hypothécaires
L’attrait croissant pour la vie en ville, la réduction de la taille des ménages et l’immigration alimentent la demande. La flambée des coûts de construction post-pandémie et les hausses de taux décidées par la BCE aggravent la situation. En Suède et en Finlande, les ménages ayant des prêts à taux variable ont vu leurs mensualités doubler en un an.
L’immobilier comme actif d’investissement
La financiarisation du logement ajoute une pression supplémentaire. Investisseurs institutionnels, acheteurs étrangers et plateformes de location courte durée comme Airbnb font grimper les prix et réduisent l’offre. Des villes comme Amsterdam et Lisbonne ont réagi en plafonnant les locations touristiques et en taxant les logements vacants.
Les réponses politiques : de l’échelon local au soutien européen
Les gouvernements agissent, avec des résultats contrastés. L’Espagne a lancé une vaste réforme du logement, incluant des constructions publiques et des plafonds de loyers. La France renforce ses obligations de logement social. L’Irlande a déployé sa stratégie « Housing for All » dotée de 4 milliards €, mais les résultats restent en deçà des objectifs.
Au niveau européen, malgré une compétence nationale, Bruxelles soutient les investissements via la « vague de rénovations », InvestEU et la Banque européenne d’investissement (BEI).
Les fonds à impact social : allier rendement et utilité publique
Un nouveau modèle émerge
Les fonds à impact social comblent un vide. Ils visent des rendements financiers modérés mais stables, tout en générant des bénéfices sociaux mesurables—notamment en matière de logement abordable pour les travailleurs essentiels et les ménages modestes.
Exemple : partenariat immobilier social aux Pays-Bas
En 2024, les fonds de pension néerlandais ABP et bpfBOUW ont lancé un fonds de 400 millions € pour les logements locatifs intermédiaires dans des zones devenues inaccessibles aux travailleurs essentiels. À Maarssen, près d’Utrecht, le fonds a acquis 75 logements dont 80 % plafonnés à 1 150 € par mois, en dessous du marché. ABP prévoit d’investir 5 milliards € dans le logement abordable d’ici 2030.
La BEI et les banques nationales renforcent le financement
Depuis 2020, la BEI a investi 15,6 milliards € dans des logements abordables et durables, soutenant des milliers d’unités en France, Autriche et ailleurs. Des banques nationales comme la KfW en Allemagne ou la Caisse des Dépôts en France interviennent via des prêts à taux réduit et des co-entreprises avec les collectivités.
Rendements modestes, gains sociaux importants
Les rendements des fonds à impact social se situent entre 3 % et 5 % par an. Moins élevés que ceux du capital-investissement traditionnel, ils séduisent les fonds de pension à la recherche de placements sûrs et durables. Les indicateurs de performance incluent le nombre de logements livrés, la satisfaction des locataires et les effets sociaux constatés.
Leur attrait grandit. De plus en plus de villes et d’acteurs publics y voient un moyen d’augmenter l’offre sans peser sur les budgets publics.
Contexte mondial : des défis partagés, des réponses convergentes
L’Europe n’est pas seule. Aux États-Unis, le coût du crédit et le manque de logements pèsent sur l’accessibilité. Le Canada a réagi avec des restrictions aux acheteurs étrangers et des réformes de zonage, dont la suppression des exigences de stationnement ou l’autorisation de logements plurifamiliaux sur des parcelles unifamiliales—des mesures déjà efficaces à Toronto et Vancouver. En Australie, le Housing Future Fund vise la création de 30 000 logements abordables en cinq ans selon une logique d’investissement public similaire.
Les fonds à impact social peuvent-ils combler le fossé ?
L’ampleur de la crise du logement en Europe est immense. Des années de sous-investissement, des dynamiques démographiques et des blocages politiques rendent les solutions complexes et longues à mettre en œuvre. Mais les fonds à impact social offrent un rare alignement entre intérêt général et capital privé.
Reste à savoir s’ils pourront monter en puissance assez vite. Mais ils ouvrent une voie prometteuse : celle d’un financement institutionnel dirigé vers les zones de besoin.
Sans innovation audacieuse ni outils de financement nouveaux, l’Europe risque d’accentuer ses fractures résidentielles. Les fonds à impact social ne sont pas une solution unique, mais ils font déjà partie de la réponse.